Au Tchad, parler de lutte contre la corruption relève de la pure ironie. L’administration publique en regorge, mais le ministère des Finances et du Budget en est la cathédrale, le cœur battant d’un système où les pots-de-vin remplacent les formulaires, et où l’intégrité est devenue un luxe en voie d’extinction.
Classé parmi les vingt pays les plus corrompus du monde selon Transparency International, le Tchad occupe une place honteuse : la septième en Afrique, juste derrière le Burundi. Une note infamante de 20 sur 100 qui traduit un pays où la corruption n’est plus un délit, mais une méthode de gouvernance.
Il suffit d’un passage dans les services de la Solde, du Budget ou au Centre de documentation des fonctionnaires pour mesurer l’ampleur du désastre moral. Les fonctionnaires en quête de reclassement, de titularisation, de capital-décès ou de rappel de salaire se heurtent à une réalité brutale : sans argent, votre dossier est condamné à dormir éternellement dans un tiroir poussiéreux.
Chaque service a son tarif, chaque agent sa taxe officieuse. De 20 000 à 80 000 francs CFA, selon la « complexité » du dossier. Le tout s’opère au grand jour, sous le regard impassible des plus hautes autorités qui feignent l’ignorance. Dans ce ministère, l’arnaque est un savoir-faire, l’escroquerie un réflexe professionnel. On y extorque le citoyen tout en sirotant une bière glacée aux frais de la victime, dans une insolence sans bornes.
Quant aux nominations, elles ne relèvent ni du mérite ni de la compétence, mais de l’humeur du ministre de tutelle. Les postes sont distribués comme des récompenses à ceux qui participent activement au système mafieux. Les mêmes pratiques se reproduisent au Trésor public, à la Fonction publique et au Secrétariat général du gouvernement, preuve que le mal s’étend à toute la chaîne administrative.
Depuis sa nomination en 2019, Tahir Hamit Nguilin, ministre des Finances et du Budget, semble avoir perdu le contrôle — ou plutôt, s’être confortablement installé dans le déni. Malgré les multiples dénonciations publiques et articles à répétition, rien n’a changé. Le ministre, censé incarner la probité, est désormais perçu comme le protecteur de cette corruption tentaculaire. Son silence et ses choix de nominations partisanes le rendent complice d’un système qui saigne l’État et humilie les fonctionnaires.
Les victimes de cette « omerta » institutionnelle racontent des années d’attente pour un simple reclassement ou rappel de salaire. Cinq ans pour un dossier de solde, sans réponse. Cinq ans d’humiliation, de supplication, de pots-de-vin et de promesses creuses.
Pendant ce temps, le président, le Marechal Mahamat Idriss Déby Itno, multiplie les déclarations tonitruantes contre la corruption. Le 9 juillet 2022, il clamait haut et fort :
« Notre fermeté sur la récente affaire SHT Gate émane de notre engagement profond et résolu contre la corruption et le détournement dans notre pays. »
Mais les mots, aussi nobles soient-ils, s’écrasent contre la réalité crasse des bureaux du ministère des Finances.
Le chef de l’État reconnaissait lui-même la difficulté du combat :
« La corruption est un combat âpre, tant que cette pratique néfaste reste ancrée dans notre société… »
Encore faudrait-il qu’il ose regarder en face ses propres ministres, véritables seigneurs du désordre administratif.
Tant que Nguilin et sa bande d’intouchables demeureront solidement installés à leurs postes, le discours présidentiel ne sera qu’un souffle creux dans le désert tchadien. Le ministère des Finances n’est plus une institution : c’est une machine à extorquer, un repaire de prédateurs administratifs.
Il est temps que le chef de l’État s’y rende lui-même, sans protocole, pour voir de ses propres yeux ce que subissent les fonctionnaires. Ce jour-là, il comprendra que la corruption qu’il prétend combattre n’est pas un phénomène lointain, mais un monstre qui s’est assis juste à côté de lui, au Conseil des ministres.
